Roger Delmotte a bien connu les précédentes éditions du concours Maurice André. Il nous parle de cette 7ème édition durant laquelle il aura l’honneur de présider la finale ce dimanche en compagnie de la cheffe d’Orchestre Vénézuélienne Glass Marcano.
S’il ne participe au jury que durant la finale, Roger Delmotte était déjà observateur lors du second tour pour découvrir les 15 candidats ce vendredi. “Je regrette de ne pas avoir pu écouter tous les candidats notamment sur des pièces comme Gallois-Montbrun, Françaix ou encore Jolivet que je connais très bien, c’est même une frustration de ne pas avoir écouté tous les éliminatoires“.
Si l’issue de demain n’est pas encore connue bien entendu, Roger Delmotte avoue qu’il voit déjà une belle évolution des candidats et du niveau depuis les précédentes éditions du concours : “Il est heureux de constater que le niveau français mais aussi étranger évolue autant. J’ai été très impressionné par Yidan Chang candidate chinoise qui par sa prestation montre l’évolution de cette école qui maintenant peut rivaliser dans les concours internationaux”

Concernant le second tour auquel il a assisté : “Les candidats avaient bien préparé le concours, ils montrent un niveau de maîtrise technique incroyable. Mais finalement est-ce cela qu’on cherche ? ALECTO était, il faut le dire, une pièce techniquement impressionnante qui manquait parfois de précisions chez certains candidats. Il ne faut jamais considérer une pièce technique comme un défi à surmonter, je prends l’exemple de Clément Saunier en France qui représente peut-être tout à fait cette idée de l’interprétation. Il faut avoir une idée intérieure de ce qu’on veut dire. C’est primordiale. La technique doit s’effacer devant ça et ce ne fut pas le cas ici à mon humble avis. Pour moi cette pièce mérite d’être posée sur le pupitre du trompettistes. Si j’avais un conseil à donner aux finalistes demain c’est de mettre la musique au centre de leur interprétation.“
Lorsque nous parlons de la finale, Roger Delmotte qui en présidera le jury nous confie avoir des attentes sur des aspects qu’ils jugent fondamentaux pour lui. “Tout d’abord le son, le son fait la musique, évidemment la maîtrise technique arrive juste après mais elle doit être au service de la musique. Je regrette le monde d’aujourd’hui où tout doit aller plus vite, plus fort, c’est de la surenchère. Enfin, j’aime beaucoup l’émulation qu’apporte ce genre de concours“. Le musicien nous confie qu’il est très heureux de découvrir l’école allemande en si grande forme, car même si Lennard Czakaj est polonais, il étudie à Berlin. “C’est très nouveau, pour moi, la présence des d’allemands, et je pense que Reinhold Friedrich n’y est pas pour rien. Il a développé une curiosité qu’il transmet dans sa pédagogie, je me rappelle qu’il m’appelait parfois pour me demander comment jouait Foveau telle ou telle musique populaire pour s’en rapprocher, il est très curieux“.
Sur le retour du Concours Maurice André, Roger Delmotte nous raconte “Maurice, c’était une vedette, une star. Que viennent faire les candidats à ce concours? Chercher à briller pour se lancer sur les pas de Maurice, ou bien démontrer leur maîtrise sur l’instrument et assurer plus tard un poste de soliste d’un grand orchestre. Avec Maurice, nous avons incarné ces deux voies. Lui, le côté “chanteur star” qui déplaçait 2000 personnes, des fans qui le suivaient partout pour pouvoir l’apercevoir, l’entendre. Et moi d’une part, soliste à l’Opéra pour y faire briller la trompette dans l’ombre de la fosse, d’autre part à développer le répertoire à travers la création de nombreuses pièces. L’un de mes souvenirs, c’est de savoir que des gens venaient exprès à Paris, à l’Opéra, lorsque nous jouions les Indes Galantes de Rameau pour entendre les trompettes de l’Opéra. Un spectateur a dit un jour après une représentation “Je ne sais pas qui faisait la trompette, mais c’était fabuleux”. C’est ça aussi être trompettiste, et les deux voies ne s’opposent pas, elles se complètent. Maurice disait toujours “On n’est pas rivaux toi et moi” c’est exactement ça. Maintenant, on voit chez les candidats émerger certains profils, mais comme un parent, on ne peut pas les forcer à suivre une voie, c’est à eux de l’affronter. On pourra néanmoins les guider ou parfois leur dire “par là, tu risques d’avoir cette difficulté, par ici, une autre” etc.“
Roger Delmotte espère également pouvoir échanger longuement avec les membres du jury. “Entre Glass Marcano, issue du Vénézuela et nourrie du modèle d’enseignement El Systema ou encore Andrei Kavalinski, biélorusse, soliste à l’Orchestre National de France et enseignant en Belgique, il y a vraiment de nombreuses cultures dans le jury et cela influence forcément nos choix. J’aime prendre du temps avec chaque membre pour bien comprendre justement son idée, ce qui le nourrit musicalement“.
Sur le programme de la demi-finale, Roger Delmotte regrette le jeu à la piccolo des candidats qui semblaient parfois manquer de maîtrise : “La piccolo, c’était l’instrument de Maurice, moi j’étais sur trompette en ré, il me disait toujours “joue ça à la piccolo, c’est beaucoup plus simple”. Plus simple pour lui, peut-être, mais la piccolo demande un travail particulier. C’est ce que j’ai ressenti lors du deuxième tour. Or sur le concours Maurice André, c’était forcément un aspect important du concours. Pour la finale, Tomasi c’est une très bonne chose, c’est une pièce très complète. Tomasi a réussi à mettre du soleil dans son concerto alors que c’était une demande pour un examen et donc avec des aspects techniques à inclure qu’il a su magnifier dans sa musique. Jolivet qui était dans le premier tour, c’est aussi magnifique mais c’est très différent de Tomasi. En règle générale, le programme a été bien choisi, on y voit les clins d’œil à Maurice André “
Note de la rédaction :
Nous remercions sincèrement Monsieur Delmotte pour le temps qu’il a consacré à Trompette Actus. L’entretien a été long et riche et nous espérons avoir pu rendre le plus clairement possible la multitude d’informations, d’anecdotes et d’histoire qu’a pu nous raconter Monsieur Delmotte durant cet entretien.
A l’âge de 25 ans, Roger Delmotte est le premier trompettiste à avoir remporté le Concours International de Genève. Premier trompette super soliste à l’Opéra de Paris jusqu’en 1986, il a joué tant à l’Opéra qu’avec des orchestres symphoniques et en soliste avec des formations très diverses. Avec Pierre Cochereau, il crée dès 1968 la formule “trompette et orgue” et donne avec lui des concerts à travers le monde. Il crée par ailleurs un ensemble de cuivres qui porte son nom. Roger Delmotte a été professeur de trompette au CNR de Versailles jusqu’en 1994, ainsi qu’au Conservatoire de Lausanne et il a donné de nombreuses master-classes dans le monde entier. Il fut directeur du Concours International d’instruments à vent de Toulon pendant 25 ans.