Ce 20 septembre, Roger Delmotte fête ses 97 ans, l’occasion de se rappeler la carrière incroyable de ce trompettiste légendaire.
Il y eut les brillants états de service de Roger Delmotte en tant que soliste à l’Opéra de Paris (à partir de 1951), requin de studio (dès 1950; musiques de films: Si Versailles m’était conté; Les Sorcières de Salerm; Peau douce; etc) et professeur au Conservatoire de Versailles (dès 1950)! On ne compte plus ses anciens élèves, à titre d’exemples: Gérard Millière, Bernard Gabel (au CNSMP), Robert Bouché, Manu Collombert, Antoine Curé, Dominique Derasse, Pierre Dutot, Roger Jeanmarie, Manu Mellaerts, René Périnelli, Rodolphe Puechbroussous, Jean-Luc Ramecourt, Olivier Theurillat, Dino Tomba, Marc Ullrich, Urban Walser, etc.
Il y a aussi, et surtout pour l’historien, le rôle capital joué par Roger Delmotte dans la tradition du jeu de trompette en France:
(1) Roger Delmotte est l’aboutissement d’une “tradition d’interprétation” (française) qui va d’Arban (via la méthode d’Alexandre Petit – élève d’Arban- que Maurice Leclercq, son 1er professeur lui a enseigné) jusqu’à Eugène Foveau (méthode Forestier), son influence majeure et lui-même qui a relancé l’usage de la méthode Balay (professeur au conservatoire de Versailles, antichambre du CNSMP où il a enseigné par intérim au décès de Raymond Sabarich). Notons au passage que la méthode de Merri Franquin, non admise par Foveau, eut de rares adeptes à l’époque en France et en Suisse (Barthélémy, Porret, Bodet) malgré ses principes “avancés” (compatibles avec ceux d’un Louis Maggio, aux Etats-Unis).
(2) Roger Delmotte ouvre la voie à “la trompette concertante” classique, seulement précédé en cela (à une moindre ampleur) par l’Anglais George Eskdale et chez nous, par Raymond Tournesac (qui ne laisse qu’un seul disque) et par Ludovic Vaillant.
Roger Delmotte est le premier trompettiste au monde à obtenir un 1er prix au concours d’interprétation de Genève (1950, Gavotte de Concert de Heinrich Sutermeister, l’Andante du Concerto de Haydn, Intrada d’Honegger), et par suite, il est le premier instrumentiste d’envergure qui enregistre beaucoup de disques dès 1950 (Fanfares pour le Carrousel de Monseigneur de Lulli). En 1952, il fait le premier enregistrement français du Concerto de Haydn (trompette Aubertin en ut) et le premier enregistrement mondial du Concerto de Leopold Mozart (trompette en ré) sous la direction de Serge Baudo, l’un des deux premiers disques mondiaux du Concerto de Vivali avec à ses côtés un débutant à la 2e trompette, élève de Sabarich, Maurice André, 19 ans (trompettes en ut) sous la direction de Roland Douatte (l’autre version est hollandaise par Fred Hausdoerfer et Harry Sevenstern, trompettes ut).

En 1953, après l’avoir donné l’année précédente en concert de façon remarquée (Concerts Lamoureux et Jean Martinon), il grave avec une Aubertin petite-perce la première version sur disque du Concertino de Jolivet (Prix du disque l’année suivante et référence mondiale jusqu’en URSS). Jolivet sollicitera ensuite Roger Delmotte pour tester l’écriture du 2e Concerto qu’il a enregistré en 1955 (sous la direction du compositeur, sur une trompette V. Bach médium-large). Entre-temps, en 1954, la même année que Ludovic Vaillant (avec Karl Ristenpart), Roger Delmotte donne sur une trompette aiguë en fa, sa version du 2e Concert Brandebourgeois de Bach sous la baguette du fameux Hermann Scherchen (oeuvre qu’il joua dès 1951 avec Fernand Oubradous). Beaucoup d’autres oeuvres lui furent confiées, et hors disques, des créations signées Françaix (avec Nadia Boulanger!), Ohana, J.J. Werner, etc…tout cela avant le développement d’une musicologie propre à la trompette que nous devons, dans les années 1960, principalement aux Américains Edward H. Tarr et Don Smithers. De nos jours où on imagine le passé d’après le présent sans s’informer des faits, on ne sait plus qu’il fallut des pionniers pour lancer le concertisme classique à la trompette. Il n’a pas toujours eu sa place. Avec des instruments plus durs à jouer et des concepts de sonorité et d’émission des sons qui paraissent désuets (pour cette raison, Roger Delmotte ne souhaite pas la réédition de ses disques historiques). Ce défrichage étant l’à-côté plus ou moins intense de certains trompettistes des années 1930-50, qui firent d’abord une carrière d’orchestre, comme Harry Glantz, William Vacchiano, Roger Voisin (Boston), Armando Ghitalla, Robert Nagel, Eskdale, Denis Egan, Walter Gleissle, Georg Donderer, Adolf Holler, Paolo Longinotti, Albert Adriano, Tournesac, Roger Aureggi, Louis Menardi, Vaillant, Arthur Haneuse, Pierre Pollin (97 ans aussi), etc etc. Roger Delmotte, les faits sont là, a donc ouvert la voie du concertisme classique à son fabuleux et infaillible cadet Maurice André, rare formé d’après la méthode Franquin (!), qui pourra faire une carrière de soliste dès les années 1950 mais surtout après son prix de Munich en 1964. La contribution discographique de Roger Delmotte s’inscrit aux côtés de celles de Roger Voisin (qui commence ce type d’activité en 1956, surtout à partir de 1959), de l’aîné Adolf Scherbaum (actif à Paris dès 1956 mais lancé tardivement en disques, dans les années 1960 surtout par Paul Kuentz) et de rares autres qui ne sont révélés qu’au début des années 1960 (Armando Ghitalla, Helmut Wobisch –si on excepte son Haydn de 1950 qui fut remarqué-, Heinz Zickler, Hellmut Schneidewind, Timofey Dokshitser –desservi par la « guerre froide »-, Walter Holy,…)
Là est un rôle historique de Roger Delmotte – qui fait de lui, plus qu’un grand artiste, un personnage essentiel à l’histoire de la trompette…jusqu’à Eskdale, Vaillant et Roger Delmotte, seuls les jazzmen -Louis Armstrong en tête- et les cornettistes/trompettistes d’airs populaires -d’Herbert L. Clark à Harry James-, donnaient à l’instrument des lettres de noblesse et une traçabilité dans le grand public.
Il me semble que la dernière prestation en public à la trompette de Roger Delmotte fut le 6 décembre 2016, à 91 ans (avec une Besson en si bémol) dans l’Ave Maria de Carillo pour l’hommage à Georges Jouvin donné à l’église Saint-Roch de Paris.
Roger Delmotte m’a confié qu’un de ses défis est d’être centenaire…comme Charles DeAntoni, trompettiste de l’Opéra-Comique à qui nous avons rendu visite en 2009 (et qui fut l’année suivante le doyen des Français)
Visite de Roger Delmotte et Michel Laplace au doyen des trompettistes Charles DeAntoni (doyen des Français depuis 2010)
Roger Delmotte sera le président du jury au Concours Maurice André les 20-28 novembre prochains
-> Relire Qui seront les lauréats de l’édition 2022 du Concours Maurice André ?
Auteur : Michel Laplace, 18 septembre 2022 – Photos Lisiane Laplace